(*L’étudiant est un jeune
travailleur intellectuel. Article 1, Charte de Grenoble, 1946)
J’ai longuement pensé avant de
communiquer à nouveau avec vous. En fait, j’y ai pensé deux semaines. Le fruit
de mes efforts de réflexions me pousse à vous parler de mon quotidien. Oh!
Certes, j’aurais pu vous faire un petit résumé de mon séjour à Agra et de ma
visite au Taj Mahal afin de vous faire saliver. J’aurais pu saturer mon blogue
des 350 photos que j’y ai prises. Mais je serais vite tombé dans les clichés
touristiques : visiter le Musée du Saguenay et sa section sur l’historique
de la Société de l’Ordre du Bleuet à quelques similarités avec la visite du Taj
et la lecture de ses plaques historiques explicatives en marbre à l’entrée de
chaque bâtiment! Ainsi, j’aurai toujours quelques cartes dans ma manche et des
histoires à vous compter à mon retour. Bref, pour expliciter l’essence de ma
pensée, il y a quelque chose de plus particulier dans la réalité quotidienne
d’effectuer une recherche terrain seul en Inde que de faire le touriste. J’ai
envie de vous partager cet aspect particulier. La cadence quotidienne produit chaque
jour les rayons audibles d’un soleil couchant. Et comme tout soleil couchant,
le paysage révélé à la tombée du jour est magnifique.
Avant les prochains mots, les
prochaines phrases, vous devez être au fait de mes deux modus operandi qui
rythme mon quotidien :
- Il faut se battre pour faire sa place et chaque parcelle de cette place est un combat.
Note
explicative : 1 milliard de personnes, c’est une réalité qui a un fort
impact sur le concept des opportunités. Vous devez travailler pour chacune des
opportunités que vous désirez saisir.
La meilleure
illustration de ce combat est sans nul doute la sensation que procure une
bousculade pour sortir du métro à l’heure de pointe. Si vous ne vous battez pas
pour prendre votre place, c’est-à-dire sortir du wagon, vous resterez coincé à
l’intérieur!
- Tout comme 150 à 200 millions de citoyens de ce pays, j’ai de la chance.J’ai la chance d’avoir accès à un niveau de vie plus que très adéquat et confortable. 800 à 900 millions d’autres personnes n’ont pas cette chance et leur réalité est marquée par la pauvreté.
Voilà, c’est deux modus operandi,
je me les rappelle chaque jour. Ils marquent la conscience et l’esprit de
découverte avec laquelle j’appréhende…
Levé du corps
À mon réveil (fait qui se produit
entre 6 h 30 et 8 h 45), c’est la routine matinale : café, courriel,
numéro 2, 2 petits pois, habillement, établissement d’objectif quotidien,
révisions des objectifs hebdomadaires et départ pour la journée de travail, à
jeun.
Premier repas
Une heure trente à deux heures après
la levée du corps, petit déjeuner. Eh oui, la sobriété et la cessation de mon
abonnement au tabac, agent cancéreux, ont suscité le retour de cette étape dans
mon quotidien. Au menu, deux bananes dans un bol de céréale avec du lait de
soya! Miam!
Bilan d’une matinée
Le temps de l’avant-midi s’écoule
ainsi laissant lentement les pages de mes livres d’intello tourner, preuve de
la tentative de comprendre les erreurs historiques sur la perception de
l’Orient par l’Occident.
Parfois, l’avant-midi nécessite
un déplacement en auto rickshaw pour une rencontre professionnelle, preuve de
l’ancrage scientifique « positiviste » et du positionnement d’une
pièce de plus dans ce casse-tête de recherche terrain en solo.
Sur l’heure du dîner
Entre 11 heures et 14 h, il y a
une période que j’affectionne particulièrement : faire les courses! Elle
symbolise la nécessité de prendre la décision sur les deux à trois prochains repas
et la vérification sur les petits besoins à combler (encens, savons, commodités,
etc.). Et, hop, je retrouve la foule et l’énergie du marché, avec toutes ces mœurs
et cette culture.
Je me rends dans cette même
petite épicerie presque tout au bout du marché où l’épicier, un vieil homme,
trouve un certain plaisir à avoir un client canadien régulier. Le sourire qui s’inscrit
sur son visage à ma vue le trahit. Nous échangeons quelques propos sur tout et
rien, la beauté du pays, de mon pays, de son pays, sur sa fille… : «
Oui, oui, si jamais j’ai ouï dire d’un contrat à l’international, impliquant le
Canada, je vous fais signe et votre fille pourra poser sa candidature
Monsieurs! Bonne journée et au plaisir. »
Ensuite, c’est le tour de mon
vendeur de paneer, toujours prêt à me donner quelques indications pour la
cuisson de ce fromage faible en gras ou des pâtes fraîches. Puis, il y a le jeune garçon du kiosque de
légume avec son sourire en coin. Cet énigmatique sourire en coin qui révèle
l’exotisme de la couleur de ma peau, et peut-être aussi les fantasmes de
l’Occident. (Il ne faut pas oublier qu’ici, c’est moi qui suis exotique parmi
mes hôtes et non mes hôtes qui le sont, c’est une question de perspective; « tout
dépend de l’angle sous lequel on se place! ».) Puis, en dernier, direction
fruits et œufs chez deux autres vendeurs, tous au fond du marché. Le désir de
diversifier les retombées économiques de ma présence rythme mes achats. Puis,
je rentre, satisfait de la marche accomplie.
Deuxième repas
Parfois, je le cuisine. Parfois,
il s’agit d’un reste. Bref, à tous les coups, c’est un succès assuré. La
nourriture est excellente ici. Ah, bien sûr, je n’ai mangé que cinq fois du
poulet, une fois du mouton « kebab » et je n’ai pas eu la chance de
mangé de la viande rouge. Pour ce faire, je crois qu’un stop près de la mosquée
à « Chandni Chowk » serait nécessaire. C’est le seul endroit où j’ai
vu des boucheries et de la viande de chèvre en vente depuis mon arrivée. Soit,
le végétarisme me va et me plaît bien…
Bilan d’un après-midi
Le temps de l’après-midi s’écoule
ainsi laissant lentement les pages de mes livres d’intello tourner, preuve de
la tentative de comprendre les possibilités de rattrapages des différents
faussés entre l’Occident et ce qu’Alfred Sauvy nous a gentiment légué en 1952 :
le tiers-monde. Et je philosophe quant à savoir qui a le plus à rattraper le « tiers »
(qui dans mon cas représente déjà presque la totalité démographique de l’Occident)
ou l’« Occident ».
Parfois, l’après-midi nécessite
un déplacement en auto rickshaw pour une rencontre professionnelle, preuve de
l’ancrage scientifique « positiviste » et du positionnement d’une
pièce de plus dans les possibilités d’analyser différemment le monde qui m’entoure
tant à l’Est qu’à l’Ouest.
Sur l’heure « québécoise »
du souper
Puis, un second moment de la
journée que j’affectionne particulièrement se présente : la course. S’il y
a une activité qui s’inscrit dans le rythme quotidien qui martèle mes journées
en recherche terrain depuis mon stage au Mali en 2008, c’est bien la course. J’aime
courir.
Donc entre 17 h 30 et 19 h, je
cours environ 40 minutes. Il y a ce petit parc tout juste à côté de chez moi.
Des jeunes y jouent au soccer ou encore au cricket. Des gens y marchent
candidement, seuls ou en promenant leur chien de compagnie. Je reconnais
maintenant les mêmes visages et je sais bien que la situation est de même lorsque
ces quidams me regardent.
Puis, il y a cette route où se
trouve un temple hindouiste. Ce même temple où mon propriétaire nous a amenés
le jour de la fête de la naissance de Krishna, le 2 septembre dernier.
Tout au long de ces minutes qui
passent sous mes pas rapides, je pense. Je pense à tout et rien. J’évacue
autant que je fais le plein. Je respire. Je transpire. Je comprends. Je digère.
Je digère ce que mon regard quotidien a associé à la normalité.
L’embryon d’une tentative de
compréhension sur le système de castes apparaît : la division des tâches.
Je comprends qu’il n’est pas question de morphologie ou de couleur de peau, à
tout le moins, moins que ce je pensais au départ, mais bien plus de tâches. J’apprends
à voir ces gens triller les ordures, pédaler à vélo pour vous porter, tenir de petits kiosques miteux, faire le
ménage, la cuisine ou encore laver et repasser les vêtements. Je vois ces gens
en voiture et ceux prendre le troisième type d’autobus, celles qui ne s’arrêtent
pas. Le premier type d’autobus est rouge et climatisé. Le second est vert et
sans climatiseur. Le troisième est multicolore, rouillé, bosselé et possède les
traits du visage d’un vieillard qui a bien vécu. Celui qui vous regarde repu et
satisfait de ses actions, l’accomplissement inscrit au fond du regard, la peau tannée
par le soleil, le corps frêle, prêt pour une nouvelle vie. Il n’y a pas d’arrêt
pour ces autobus. Ils ralentissent et ces gens qui font des tâches essentielles
que d’autres ne désirent pas faire y bondissent. Ces autobus et ces gens qui
marquent la tradition, la segmentation… de la modernité.
Et je rentre, complètement
détrempé de ma sueur, signe de l’effort physique.
Troisième repas
Vers 20 h, je le cuisine, il
goûte bon et il a ce petit quelque chose que seule la gazinière peut donner à
la cuisson des aliments.
Bilan de la soirée
Le temps de la soirée s’écoule
ainsi laissant lentement les pages de mes livres d’intello tourner, preuve du
temps qui passe et des réflexions qui se cumulent.
Rarement, la soirée nécessite un
déplacement en auto rickshaw pour une rencontre professionnelle et c’est tant mieux.
Vers 23 h, la ville et ses habitants se laissent aller à la nuit et au sommeil.
Les quartiers de South Delhi se ferment un à un avec leurs grilles métalliques.
La circulation tourne au ralentie. La vie nocturne débute. Les chiens s’éveillent
et aboient pour des raisons inconnues. Eux, qui le jour, ressemblent à des
épaves sur les trottoirs et le long des routes. Une fois le soleil couché, ils
défendent leur territoire et gare à vous si vous êtes seul aux petites heures
de la nuit. Gregory David Roberts avait raison, ils vous suivent.
(*L’étudiant est un jeune travailleur intellectuel. Article 1, Charte de Grenoble, 1946) ... L’étudiant est un travailleur intellectuel !!
RépondreSupprimertu n'est plus jeune mon cher ami !!
Après avoir vu le lien dans les médias de l'Université de Sherbrooke, je n'ai pu résister de te lire! Tu as une très belle plume, félicitations! C'est toute une expérience!
RépondreSupprimerBon courage pour ce qu'il te reste à faire!
Guillaume Pinglot
Très contente de te lire monsieur Roberge!
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